“Le problème, Maryline, c’est pas que tu as plus de trente ans, c’est que tu as plus de vingt-cinq ans!” s’est exclamé Sophie, coach d’artistes, lors d’un entretien où je lui confiais mes difficultés à percer dans le milieu de la musique. C’était il y a une dizaine d’années. Elle disait ça sans méchanceté, avec toute la lucidité acquise au fil d’une longue expérience du “métier”.
Aujourd’hui, j’ai quarante-six ans. J’accepte les propos de Sophie. Cela a été un long chemin, douloureux. Dans cette acceptation, il y a un cadeau: m’autoriser à être créative pour moi-même, sans chercher à répondre aux attentes du monde extérieur, puisqu’il n’y a pas d’attente, juste une grande indifférence. Une fois le deuil de l’égo-qui-veut-exister réalisé, quelle libération!
J’imagine que c’est un peu comme déménager d’une petite ville de province, où tout le monde connaît tout le monde, à une métropole tourbillonnante: l’indifférence du monde a son versant lumineux, elle libère de l’impulsion à être conforme. Pour que l’expérience libère, il faut d’abord mourir: mourir à être “quelqu’un” (avec l’allant-de-soi: être quelqu’un d’important socialement), mourir au besoin de reconnaissance, cette attente que notre valeur nous sera confirmée de l’extérieur, qu’on sera validé, on aura des bons points, une critique dans Télérama, être enfin assuré qu’on a fait quelque chose de bien, de valable. Toute la pédagogie “à la française” est fondée là-dessus: la lutte, l’évaluation, la comparaison, surpasser les autres, se surpasser soi-même, toujours plus, peut-mieux-faire. C’est toute une culture… et toute mon éducation. Indifférence donc. Pas d’écho ou si peu.
Ce grand silence est un espace immense pour explorer, se tromper, tâtonner, pleurer, créer. J’ai abandonné la lutte, et les fonctionnements de survie qui vont avec, pour devenir pleinement vivante. Faire les choses – chanter, danser, méditer, écrire, cuisiner – parce que c’est dans ma nature de les faire, parce que je respecte cette nature véritable de créatrice qui est la mienne. La nôtre. L’amour de soi, du vivant en soi, nous guide dans les marécages du besoin de reconnaissance. Amour et créativité sont ma religion.
Pour moi, la véritable création est un acte gratuit, un geste libérateur qui n’attend pas de contrepartie. S’il y en a une, on peut s’en réjouir, bien sûr. Mais attendre une contrepartie biaise l’élan initial. En 2016, j’ai sorti un album sous le nom de Chrysopée. Dix ans de travail, un budget de vingt-mille euros en autoproduction – je ne sais même pas comment j’ai fait! Enfin si, les dernières années, tout l’argent que je gagnais y passait. Expérience puissante dont je suis fière: collaborations passionnantes, beaux arrangements, bel objet, beau clip, soirée de sortie d’album magique. Suivie d’un échec commercial. J’étais dévastée, j’ai mis deux ans à m’en remettre. La pratique de la méditation a beaucoup aidé. Lors d’un entretien avec un instructeur de méditation, il appuyait là où ça fait mal : si tu as autant de mal à t’en remettre, c’est que tu avais des attentes. Et je me suis justifiée, ça me paraissait une évidence: bien sûr, j’avais des attentes! Pourquoi aurais-je mis autant d’énergie dans ce projet si je n’avais pas eu d’attentes?! Aujourd’hui je comprends ce qu’il me disait. Ce n’était pas un jugement. C’était un constat. Créer sans attente, c’est ce que j’appelle la création comme acte gratuit.
Actuellement, je ne fais pas de concerts au sens traditionnel du terme: chercher une salle, faire de la promo pour la remplir, prévoir une billetterie… Tout cela me paraît bien logistique, “practicalities” dit-on en anglais. Mortel pour mon élan créatif. Les dernières fois que j’ai chanté, j’ai été invitée à improviser dans des jams ou en clôture d’une soirée Exctatic Dance. C’étaient des moments glorieux – je me suis sentie ouverte à ce qui est, dans la réalité du moment, de façon immédiate, nette, inspirée. Joie du partage, accueillir la magie de l’instant. Ce sont des espace fragiles, fugitifs et incroyablement puissants. Des espaces-temps transformateurs.
J’admire les artistes qui incarnent la grâce de l’élan initial après avoir passé douze coups de fil, envoyé une salve d’emails et réalisé quatre interviews. Il faut avoir une capacité singulière à se dédoubler, à convoquer un aspect de soi puis un autre, sans les laisser déteindre les uns sur les autres. Je ne sais pas, je ne sais plus faire ça, et je n’en ai pas envie. C’est peut-être lié à l’âge. Vieillir, péremption. Il y a une date limite pour “faire carrière” comme disait ma coach. Entendant par là: trouver une boîte de production qui accepte d’investir de l’argent sur ta tête. Ou c’est la lutte, seul.e contre tous. Comme le personnage de Jean-Hugues Anglade dans “Le Grand Bain”, artiste éternellement has-been.
J’étais déjà « has-been » à 18 ans. Dans les années quatre-vingt-dix, j’ai fait partie du groupe “Mini-Star” qui a connu un grand succès commercial et médiatique. Pendant des années, on a continué à me reconnaître dans la rue et on me demandait des autographes. Devenue jeune femme puis femme, j’étais toujours assimilée à une enfant et à une musique pour enfants. Ça m’évoque l’image de l’éternelle petite fille du film “Entretien avec un vampire”: elle veut couper ses belles anglaises mais celles-ci repoussent à l’identique. Momification. A ma majorité, je me souviens très clairement m’être dit: je ne revivrai jamais un tel succès. C’est derrière moi. C’est une des raisons qui m’a amenée à m’éloigner du monde artistique. Fac d’histoire, boulot dans la presse écrite. Mais c’était plus fort que moi, j’y suis revenue.
Je reçois régulièrement, encore aujourd’hui, des message d’anciens fans de Mini-Star – trente ans plus tard, c’est fou, non?! Récemment, une de mes vidéos Youtube a reçu ce commentaire: “Je préfère la Maryline des Mini-Star à celle de Chrysopée.” Ça m’a fait honte, j’ai été tentée de supprimer le post. Puis j’ai eu envie de répondre: “J’en ai rien à foutre de ton avis”. Mais répondre cela, c’est y accorder beaucoup d’importance, n’est-ce pas? J’ai laissé le post. Ça me rend un peu triste pour cette personne. Si elle ne me voit pas, c’est qu’elle ne doit pas se voir elle-même.
La nostalgie m’est étrangère. Je n’ai rien contre la nostalgie, ça crée de belles œuvres d’art. Mais ce n’est pas mon tempérament. Je ne m’accroche pas au passé. D’ailleurs, je ne parle presque jamais de l’époque Mini-Star, certains amis apprennent par hasard cet épisode de ma vie alors qu’on se connaît depuis des années. Si l’on parle “instant présent”, ma névrose, ce serait plutôt de trop me projeter dans le futur. Impatiente, oui!
J’ouvre ce blog et je suis impatiente de partager avec vous des vidéos tutoriels, des captations, des réflexions sous la forme d’articles ou de podcasts, etc. Un blog est un espace de créativité sans limite, c’est une façon de manifester ma créativité, sans pression. Si vous trouvez cela inspirant, j’en suis ravie! N’hésitez pas à liker, partager… Et si ce n’est pas le cas, je vous souhaite de faire de belles trouvailles ailleurs. Ce monde est tellement riche et vaste.
Bonsoir Maryline,je trouve ton témoignage courageux,empli d’une certaine sagesse.Pouvoir se confier avec lucidité sur ses réussites et ses échecs,espoirs et désillusions n’est pas chose aisée. Contrairement à Toi,j’éprouve un certain attachement à la nostalgie,pas seulement parce que celle ci renferme la beauté de choses,parfois simples,du passé mais aussi car elle est susceptible de garder intacte une énergie,une force,une source d’inspiration qui semble faire défaut aujourd’hui.J’ai cependant l’impression qu’elle subsiste toujours à travers la beauté et la sensibilité féminine,au delà des discours et des apparences.Dans la nature également.Elle existe aussi chez les hommes mais à un état moins perceptible.D’une manière générale,nous avons tous besoin d’un but précis,le plus difficile étant de découvrir lequel,si nous voulons créer de belles choses,surtout dans ce monde où beaucoup a déjà été fait.Je ne suis pas un fan des mini stars et je n’ai presque pas de souvenirs du passage du groupe à l’époque,seuls leurs succès des génériques de dessins animés diffusés à cette période ont marqué ma mémoire. Il y a quelques années déjà,lors de la diffusion de l’émission « ça se discute » que j’avais vu sur France 2,j’avais été frappé de voir à quel point tu étais devenue une femme rayonnante.Cette énergie que tu dégageais enfant paraît toujours présente.J’imagine que c’est cette nature dont tu es en partie faite,qui a plu et continue de plaire à certaines personnes aujourd’hui. Ce long commentaire ne se veut pas intrusif mais n’a pour autre but que te confier la tendresse que j’éprouve envers toi après avoir lu ton récit ainsi qu’avoir été touché par ta beauté et ta sensualité solaire,puisse t-il t’apporter quelque satisfaction.Avec toute mon affection et mes encouragements…
Bonjour Maryline
Je découvre ton blog et trouve tes propos très inspirants.
De la même génération que toi, je m’apprête à demander un congé sabbatique pour pouvoir laisser libre cours à ma créativité, sachant que cela intéressera un nombre limité de personnes… mais qu’importe si cela devient mon aspiration première.
Pour autant, dans ce sens-là, c’est parfois difficile à expliquer à son milieu professionnel, à son entourage aussi et la fameuse reconnaissance sociale me taraude encore souvent et tente de me ronger les entrailles. Sacrée bataille. Merci de m’avoir fourni de nouvelles armes. MR
Bonjour Myriam, Merci pour ton message et heureuse que mon témoignage soit inspirant. Dans la quête de soi, il est important de faire la part des choses vi-à-vis de l’entourage: ce que peut penser ton entourage professionnel reste assez secondaire. Mais il est important de prendre soin des très proches, leur expliquer. Tu révèles de nouvelles parties de toi-même. C’est sûrement déstabilisant pour toi, et ça l’est pour eux aussi. Si tes nouveaux choix te rendent heureuses, avec le temps, ils comprendront. Il faut juste être un peu patiente 🙂 Amitiés, Maryline
Merci de ces propos intimes, Maryline,. de tes propos vrais, de ton authenticité. (le mot est un peu gros !)
Merci aussi de ta joyeuse invitation à surfer sur l’instant, à faire place libre à la surprise.
Ouf ! ça me dégage de mon passé, de mes voies encombrées…
à chaque cours l’instant est neuf, le plateau vide .
Je joue ?
Lou