Depuis 2018, je me déplace aux quatre coins de la France pour donner des stages de voix. Du moins c’est l’histoire que j’ai racontée – ce qui nous pousse à l’action est souvent plus élaboré que ce qu’on raconte. En vérité, depuis 2018, je cherche un lieu où m’enraciner.
En bonne native parisienne, j’ai une relation d’amour-haine à la capitale. Je ne m’y sens pas franchement bien. Pas franchement mal non plus. J’ai adoré cette ville. Dans la trentaine, je sortais beaucoup. Je faisais de grandes balades dans le centre historique, pour finir manger des falafels rue des Rosiers. Je passais du temps avec mes amis dans les bars. Or côté cercle d’amis, ça s’est éparpillé façon puzzle. Cela avait déjà commencé avant le Covid. Avec la crise sanitaire, l’exode s’est aggravé. Puis mes centres d’intérêt ont évolué. J’ai besoin de verdure, de calme, d’un temps ralenti. Bref, je vieillis.
Petit à petit, a germé en moi un désir d’ailleurs. Mes convictions écologiques s’accommodaient mal de vivre dans la pollution, qu’elle soit olfactive, sonore ou publicitaire. Comme je n’avais pas la moindre idée d’une destination, j’ai commencé à organiser des stages à Marseille, Nantes puis Toulouse, afin de voir comment c’était ailleurs. J’ai fini par comprendre que si je quittais Paris, ce ne serait pas pour me retrouver dans une autre grande ville. Le même anonymat. Les mêmes bouchons. Les mêmes artères commerçantes avec les grandes enseignes de fast food et fast fashion. Une fois faite la prise de conscience – ça m’a bien pris deux ans – la question demeurait: mais alors, où? Pourquoi ici plutôt que là?
Je me suis sérieusement posé la question de m’installer à côté du Centre Roy Hart, dans les Cévennes. Ce centre dédié à la pratique de la voix dans la tradition Wolfsohn-Hart est un phare dans ma vie (voilà le sujet d’un article à part entière, j’y reviendrai). Je lui consacre beaucoup de temps en tant que bénévole depuis… ouh! bien longtemps. J’ai d’abord oeuvré pour le site internet – ma vie professionnelle antérieure de journaliste me prédisposait à la rédaction et correction d’articles. Depuis quatre ans, je fais partie du Conseil d’Administration, où j’ai occupé alternativement les rôles de secrétaire, trésorière, actuellement présidente. Le temps que j’y consacre est déraisonnable mais comme on dit, l’amour a ses raisons…
Je ne me voyais pas recommencer ma vie professionnelle de zéro. A Paris, j’ai tissé des liens, développé un réseau. J’y enseigne dans une école de musique, la Manufacture Chanson, véritable havre de gentillesse et d’amour de la musique. Je commence en janvier prochain à travailler pour l’école de théâtre l’Eponyme. Paris reste un espace de rencontres et d’opportunités professionnelles, c’est pourquoi il est si difficile de partir.
Le temps pour parcourir Paris-Centre Roy Hart excède largement les quatre heures. Je n’allais pas faire 8 ou 10 heures d’AR en transports en commun pour un weekend au vert. Je ne conduis pas, je suis dépendante des possibilités de transports en commun, limités dans les Cévennes. Je sais, j’ai 50 ans et je ne conduis pas, ne vous moquez pas, c’est le sort de beaucoup de parisiens. Le pire, c’est que j’ai le permis. Mais c’est une autre histoire, du nom de amaxophobie.
Ma quête commençait à se préciser: une petite ville, dans la nature, accessible en train, avec un temps de transport raisonnable à partir de Paris. L’étape suivante du raisonnement, c’est bien sûr le coût. Parce que plus une jolie petite ville est proche de Paris, plus les prix la réservent à une élite. Ce ne sera donc pas trop proche de Paris non plus parce que mes moyens sont limités – créer le spectacle « Se désenvoûter du capitalisme » et passer beaucoup d’heures en bénévolat nourrit l’âme, pas le portefeuille.
Je participe régulièrement depuis quelques années à un rituel magnifique, antique, du nom de « hutte de sudation ». C’est comme un sauna où on s’assoit à même la terre, dans l’obscurité. Dans une cabane ronde et basse, faite de branchages, recouverte de couvertures en laine, un foyer est creusé au milieu où sont entreposées des pierres chaudes, sur lesquelles est versée de l’eau, ce qui créé un bain de vapeur avec des températures élevées. La famille spirituelle qui organise les huttes auxquelles je participe reçoit les enseignements d’un homme lakota – les lakotas sont un peuple natif du continent nord-américain. Les huttes de sudation sont un rituel de purification, de guérison, de communion avec les éléments, de prière, notamment par le chant. J’ai beaucoup prié en hutte pour demander de l’inspiration quant à mon prochain lieu de vie. Quand les réponses tardent, reste la prière. Je suis de nature sceptique. J’ai été exaucée au-delà de mes espérances.
Le dénouement de mon histoire s’est fait de façon surprenante, rapide, improbable, évidente. Rétrospectivement. Car pendant mon processus, ça m’a paru interminable. Et puis la grâce. Les choses se sont mises en place d’un coup. J’ai acheté à Avallon en Bourgogne un terrain sur lequel il y a une minuscule maison – plutôt un abri de jardin mais pour moi c’est un palais – pas d’eau pas d’électricité – pour l’instant – mais des voisins très sympas qui dépannent. J’y ai planté un poirier pour mes 50 ans, en mai dernier. Des années d’engagement écolo qui se manifestent les mains dans la terre. J’y retourne demain pour planter des arbres. Novembre, il paraît que c’est la bonne saison.
La semaine prochaine, je donne un stage à Nantes, ville où j’avais un groupe régulier et enthousiaste. Cette fois, je n’ai que cinq participants. Je n’ai pas consacré assez de temps à la communication. Je sens que j’arrive au bout de quelque chose. C’est le dernier stage que j’organise seule à Nantes. Déjà l’année dernière, j’avais renoncé à poursuivre mes stages à Marseille. Comme mes collègues du Centre Roy Hart, dorénavant je me déplacerai si je suis invitée. Comme c’est le cas à Genève où la formidable coach et thérapeute Sabine Pellarin organise un stage que j’y donnerai en mai 2024.
Je souhaite reprendre le chemin de l’écriture plus régulièrement – mon article précédent date d’octobre 2021! Le chemin du chant aussi. Ces dernières années, je me culpabilisais de ne pas y consacrer assez de temps. Jusqu’à cette belle discussion en avril dernier avec Zwaantje de Vries, une professeur du Centre Roy Hart. Je lui racontais mes aventures avallonaises et elle s’exclama: « But this is singing » que je pourrais traduire approximativement par « Ceci est aussi du chant ». Parce que, dans l’acception émanant de la pratique Hart-Wolfsohn, chanter, ce n’est pas juste un humain qui émet des sons grâce à ses cordes vocales. C’est beaucoup plus vaste, profond, existentiel. C’est son être profond qui vibre. Et parfois, cette vibration, elle passe par le jardinage!
Plus de chant, d’arbres plantés et d’articles de blogs rédigés, donc, moins de post Facebook: voilà mon programme pour les années à venir. Et marcher dans la nature. Et quand mon palais-mouchoir de poche sera prêt, en alternance avec Paris, le Centre Roy Hart et les villes où j’aurais été invitée à enseigner, commencer à donner des cours de voix à Avallon.
Cerise sur cet article, ma pomme qui bêche.